À propos de Muriel Braun

 

Après un an à l’institut d’esthétique contemporain et du Dessin, un diplôme de peinture aux Beaux Arts de Paris et une licence d’arts plastiques, puis un petit détour dans le dessin de bijoux pour haute joaillerie (notamment un an pour Morabito), Muriel Braun a choisi dès les années 1980 de consacrer une partie de son temps à l’enseignement pour communiquer son monde intérieur et sa passion à ses élèves.

Quelques cours d’Ikebana lui ont transmis l’amour des fleurs sous toutes ses formes comme on peut le constater dans de nombreux tableaux. Depuis 1977, elle a réalisé de nombreuses expositions collectives et personnelles (mairie du 14ème, Festival d’avant-garde, ENSBA, différents centres culturels, à l’espace Gainville « mythe et réalité » en 1994 etc.).

Ce que Muriel Braun peint, ce ne sont pas les objets du réel mais plutôt la description parlée qu'un conteur merveilleux en donnerait. Tout se passe comme si elle déréglait le système pictural, le dédoublait, hypertrophiait en lui la virtualité signifiante (sa pratique plastique ne devient un art que parce qu'elle permet à la forme de partir dans un très grand nombre de directions et de manifester le cheminement infini du symbole). En permanence, le regard de Muriel hésite et oscille entre une captation du monde sur la toile et son imagination matérielle propre à constituer ce que l'on pourrait appeler un impressionnisme de la matière figurée (je vois tout d'abord un animal, puis s'y substitue métonymiquement une vallée qui m'apparraît par un effort de "distance psychique"). En changeant le niveau de perception, c'est un autre message que je perçois. Mettez-vous « dans le pas de la main » qui trace. Dessinez une ligne: c'est déjà la conjonction de deux mondes, ramifiez-la et elle devient une plume caressée par le vent. Changez maintenant l'orientation de cet objet, faites glisser le signe et ce sont maintenant les sillons des champs de nos campagnes...

La peinture de Muriel est mobile, elle dicte au regard par son projet même de s'approcher ou de s'éloigner. Il n'y a jamais de privilège accordé à la première perception. La perception est immédiatement plurielle. Elle procède d'une secousse qui ébranle le monde classé, le monde nommé et reconnu. Il ne s'agit pas de mieux voir mais de produire l'autre chose qui est dans la chose.

« (...) les mouvantes lignes se ployaient, se déployaient, s'enroulaient, se déroulaient, partaient en boucle, en déhanchements, enlacements et désenlacements, en spirales, serpentins, éventails ou ombrelles en queue de paon, formes dévergondées, en appel au secours, en sarabandes, en étoiles rayonnantes, en anneaux, en astéries, en roses des vents, en segments tombants, se dédoublant, se dédoublant sans fin... Lignes que bien à tort on prenait pour décoratives et superflues, expression d'une incoercible, infernale répétition (...) » (H. Michaux, Emergences résurgences)

Comment éviter la cécité aux réseaux de sens afin que la vision advienne? D'un crayon expert, Muriel dévoile et cerne avec précision (il faut voir comment les blancs du papier traduisent des pleins orientés) tout un monde jailli de son psychisme inconscient mais sur lequel elle exerce un contrôle efficace, une grimaçante fantasmagorie à mi-chemin toujours entre l'animal, le végétal, le minéral ou le viscéral, un monde grouillant de fantômes, de chimères engluées dans le paysage, de souvenirs de son enfance oú rode une indiscible angoisse.

Sous la plissure du signe... l'envers du monde. Le merveilleux à ses instants sublimes peut-il effrayer? Les coupes stratigraphiques, les effets de scarification font apparaître un monde souterrain oú les mots manquent à leur place. L'irruption des silhouettes énigmatiques, des fleurs spectrales, des univers astraux, dards, aiguilles et pitons rocheux produisent une inquiétante étrangeté-vacillation du savoir par une imagination tellurique de la matière qui métamorphose le monde visible

Avec les productions de Muriel Braun, les métaphores et métonymies ne s'arrêtent jamais. Le travail de nomination des lignes se poursuit inexorablement sans jamais se fixer totalement, défaisant sans cesse les noms associés aux signes, parce que cela ressemble, non pas à tout mais successivement à quelque chose, le travail d'altération du signe peut se maintenir afin qu'advienne un manque, une béance, le dessein du dessin de Muriel Braun est de nous attirer pour mieux nous confondre dans un lieu sans lieu, dans un espace sans limitation afin de suspendre le plaisir de la nomination des choses et par là-même de ré-activer une tension, un désir de jouisssance producteur de sens.

Aux antipodes des courants post-minimalistes et conceptuels le travail de figuration poétique, Muriel se joue de nos certitudes établies en nous livrant les courbes sismiques de ses courants psychiques. Tant que ce travail possèdera les facultés de nous surprendre et de révéler l'imaginaire que nous ignorons en nous, il légitimera la fonction sociale et politique de l'Art.

Pierre Braun (professeur d'arts plastiques à la faculté de Rennes) 1994, Exposition Gainville

 

© www.murielbraun.com, tous droits réservés.
^ Haut de la page